L’Islande aux éditions Zulma

Chaleur (encore des pics improbables pour un mois de septembre) et lecture : parfaitement compatibles, si l’on décide de se réfugier en terres islandaises au détour de quelques récits. Et pour cela, quelles meilleures éditions que Zulma ?

On connaît de plus en plus la littérature islandaise noire, depuis Arnaldur Indridason, et aujourd’hui Yrsa Sigurdardóttir ou Ragnar Jónasson. Jón Kalman Stefánsson a fait connaître également son nom et son œuvre avec de la littérature plus « générale ». Mais les lecteur-trice-s français-es ont encore bien des pans de l’histoire littéraire islandaise à découvrir.

Je me propose de vous faire voyager comme je l’ai fait à travers trois romans publiés chez Zulma, qui se fait fort de réserver une grande part de son catalogue à de la littérature étrangère non anglo-saxonne. Plusieurs auteur-trice-s islandais-es y ont leur place.

En route pour une exploration de cette île rude et volcanique, dans un voyage tout personnel et uniquement livresque, car, je le dis tout de suite, je n’ai encore jamais mis les pieds en Islande. Trois romans, trois visions différentes de ce pays.

Miss Romancière de l’Islande : Auður Ava Ólafsdóttir et ses six romans chez Zulma

Si vous suivez blogs, comptes bookstagram ou présentoirs des libraires, vous avez sûrement entendu parler de Miss Islande. Et Auður Ava Ólafsdóttir est devenue une autrice reconnue. Avant ce roman du début de l’année, Rosa candida ainsi que Le Rouge vif de la rhubarbe avaient déjà rencontré un bon succès. Mais c’est de L’Embellie que je veux vous parler aujourd’hui, un peu moins cité. 

Dans les serres de la librairie éphèmère de Zulma, à Veules-les-roses, je voulais absolument repartir avec un roman d’Ólafsdóttir. J’ai choisi L’Embellie pour le thème de la maternité, abordé ici avec originalité : la narratrice (dont on ignore le prénom) n’est pas mère. Surtout pas. Pour elle, « il n’y a que très peu de couples qui résistent au fait d’avoir des enfants. » Et surtout, « une des caractéristiques d’une liaison amoureuse défaillante apparaît quand les gens se croient obligés d’avoir des enfants ensemble » : cette phrase-là, elle l’emprunte à un scénario qu’elle a corrigé, car elle est correctrice, rédactrice et traductrice free-lance. Donc, pour elle, le problème commence avant même que l’enfant n’arrive, dans la simple idée qu’on est obligé d’en avoir un. On retrouve là les convictions féministes que Mona Chollet présente dans son essai Sorcières, dont je vous parlais récemment.

Lisez ceci pour découvrir le sentiment très tranché de la narratrice au sujet des enfants, elle qui adore lire, et le style drôle et alerte de l’autrice :

En se concentrant au degré ultime, on doit pouvoir lire deux pages d’affilée. Sauf qu’un silence suspect règne autour de l’enfant. Il a sans doute le hochet coincé dans la gorge. C’est pourquoi il faut aller vérifier toutes les quatre lignes. On est tout le temps soit en train d’ôter au petit son pull-over, soit de le lui remettre, d’enfoncer Barbie dans son collant et ses escarpins en strass, de chercher les clefs de la porte d’entrée avec le marmot endormi dans les bras. Décidément, ce n’est pas mon truc.

Rien ne laisse donc prévoir que cette narratrice partira en voyage pendant plusieurs semaines avec un petit garçon de quatre ans. C’est que les évènements se sont enchaînés, improbables et tristement ordinaires en même temps : son mari la quitte, sa meilleure amie enceinte est hospitalisée, et c’est elle qui confie à la narratrice son fils, pour la durée de son séjour à l’hôpital.

Cette découverte imprévue de la maternité est tout aussi peu banale que l’est l’enfant lui-même : physiquement handicapé (il entend très mal, ne voit guère mieux, possède un corps frêle et attire les regards avec les fils de ses lunettes et de son appareil auditif qui s’emmêlent), psychologiquement et intellectuellement précoce, il pourrait être une épreuve impossible pour sa toute nouvelle tutrice. Mais il n’en sera rien. Au contraire, il sera le compagnon idéal de sa nouvelle vie, une vie qu’elle a décidée, choisie, sans se rendre compte qu’elle l’avait attendue.

Les deux voyageurs insolites partent donc en voiture pour faire le tour du pays, avec pour destination une côte que la narratrice connaît bien, car elle y a passé son enfance. Dans ce roman, davantage que dans Miss Islande, qui restait un roman urbain, pour l’essentiel, Auður Ava Ólafsdóttir se révèle une écrivaine géographe, une poétesse du monde vivant et des paysages. Il est souvent question d’obscurité, de pluie, d’effondrements, de roches. Mais ces conditions sont toujours présentées comme une réalité ni malheureuse, ni joyeuse pour les Islandais. Quand il pleut, on se sèche, quand il fait nuit, on s’éclaire, et puis voilà tout.

J’ai dévoré la première partie du roman, adorant le personnage de la narratrice, me réjouissant de la voir assumer ses choix, vivre ses maladresses comme ses atouts. Je me suis même dit que j’avais entre les mains mon livre préféré de l’autrice islandaise. Mais la seconde partie m’a fait perdre cette idée, car je me suis moi-même un peu perdue dans les méandres de la narration. Les va-et-vient avec le passé, mais aussi les scènes du présent dont je n’ai pas toujours saisi l’importance, m’ont laissé l’impression d’assister de loin à un film sans fil conducteur.

J’en garde surtout les personnages, atypiques comme toujours chez Auður Ava Ólafsdóttir, des paragraphes mordants et qui m’ont fait sourire, et de belles phrases sur une Islande dure mais réelle, ordinaire, palpable.

Dernière chose à mentionner : la présence, très originale, de « Quarante-sept recettes de cuisine et une recette de tricot« , à la fin de l’ouvrage. Des recettes en lien, évidemment, avec le récit qui vient de s’achever. J’ai beaucoup aimé ces recettes littéraires, drôles, qui m’ont rappelé le devoir de français de Julien, fils de cuisinier, dans un roman sorti récemment chez Folio : Les recettes de la vie, de Jacky Durand. Julien y « raconte » la mousse au chocolat de son père. La professeure de français, mégère, refuse de considérer ce texte comme une rédaction et lui écrit un mot à signer par les parents. Littérature et gourmandise peuvent pourtant se marier si intimement…

Ne vous arrêtez pas à mes réticences : L’Embellie a été encensé, comme le prouvent les nombreuses critiques rassemblées sur le site des éditions. Allez-y sans peur, vous en sortirez peut-être plus enchanté-e que moi.

L’Embellie, d’Auður Ava Ólafsdóttir, traduit par Catherine Eyjólfsson, 2012, 9€95 en Zulma poche.

Gunnar Gunnarsson et son berger : petit roman, grande intensité

Celui-ci, c’était « le choix du mari », c’est-à-dire le livre pour lequel j’ai demandé à mon homme : « choisis la couverture que tu préfères ! ». Et moi aussi, je les aimais bien, ces montagnes couleurs « intérieur scandinave », façon Sostrene Grene.

Mais, heureusement, l’objet s’est révélé aussi beau à l’intérieur qu’à l’extérieur.

Le titre ne me disait pas grand-chose. Mais je me suis attachée très vite à ce trio de personnages indissociables, et pas toujours sociables : un berger des montagnes, son chien, et le bélier de son troupeau. Benedikt, Leo et Roc. Ils vivent une vie ordinaire, au gré des saisons, des températures et des hivernages. Justement, c’est de cela qu’il est question dans le récit : tous les ans, au premier dimanche de l’Avent, Benedikt et ses deux compagnons à poils se lancent à la recherche des moutons égarés dans les sommets, qui n’ont pas rejoint leur troupeau au bon moment.

C’est une escapade qui présente des dangers, mais qui, tous les ans, se déroule sans heurt pour le trio. Cette année-là, cependant, les choses s’annoncent plus mal. Les conditions climatiques ne sont pas de leur côté. Tout le monde pense que Benedikt va renoncer. Mais l’homme tient ses promesses de manière aussi immuable que l’hiver reprend ses droits tous les ans.

Le livre est le récit de cette année où l’aventure s’est déroulée avec plus d’obstacles que les autres fois. N’attendez pas du rocambolesque, même s’il y a des péripéties. Ne cherchez pas de l’exceptionnel, même s’il y a de l’héroïsme dans les gestes et les faits de l’homme et des animaux. Ne réclamez pas du romanesque, même si, dans les scènes et les dialogues qui se déroulent entre Benedikt et d’autres hommes rencontrés au cours de l’expédition, on trouve du réalisme, comme on peut en trouver dans la grande tradition du roman.

Contre mon attente, j’ai beaucoup aimé ce récit court, simple, mais si beau. Quelques formules qui font sourire ou réfléchir émaillent le texte. J’ai particulièrement goûté ce passage où Gunnarsson aborde la relation, quasi intime, entre Beneddikt et les montagnes :

Les sommets qui l’entouraient lui paraissaient étrangement silencieux et maussades. Que leur avait-il donc fait ? Était-ce sa faute s’il était retardé ? […] La nuit, il dormit peu, et son sommeil fut agité. C’était dur d’être en mauvais termes avec de vieux amis. Comme si on perdait son dernier refuge dans un désert de solitude. En plus, rien de tel pour vous ronger les sangs que de chercher des moutons vivants et ne rencontrer que la mort.

La personnification poussée à l’extrême, puis un retour sans transition à la réalité brutale, pour finir sur la mort, allégorisée, concrète, tout à la fois.

On a parlé d’Hemingway, qu’il aurait inspiré. Les éditions Zulma proposent d’ailleurs une postface (presque aussi longue que le récit lui-même) de Jón Kalman Stefánsson, passionnante à lire.

Le Berger de l'Avent, de Gunnar Gunnarsson, traduit par Gérard Lemarquis et María S. Gunnarsdóttir2019, 6€95 en Zulma poche. 

Einar Már Guðmundsson et ses Rois d’Islande 

Ce roman, enfin, c’est « le choix du titre ». D’un commun accord entre le mari et moi-même. Ici, le thème est affiché : on va parler d’Islande. En revanche, ne cherchez ni des rois, ni un manuel d’histoire des territoires islandais : pensez plutôt aux romans de Joyce, Sterne ou Cervantes. Vous savez, ce genre de récit ébouriffant, qui semble se perdre dans des chemins improbables mais qui dessine en fait ce que Kundera appelle « l’art du roman ». Du romanesque à l’état pur.

Ainsi, Les Rois d’Islande aurait parfaitement eu sa place, s’il avait déjà été écrit et publié, dans le cours que faisait ma directrice de mémoire sur le roman. La rencontre entre le vulgaire et le sublime, l’ordinaire et l’exceptionnel. Einar Már Guðmundsson nous raconte en effet l’histoire (qu’il en fait une Histoire) de la famille Knudsen à travers les générations. Souvent nommée « un clan » par le narrateur, autoproclamée famille de « Rois », c’est une succession de femmes et d’hommes avec leurs creux et leurs saillies, leurs failles et leurs sommets – à l’image de la topographie de leurs terres. Ce qui est sûr, c’est qu’ils sont tous, elles sont toutes des Islandais-es. Mais ce qui est moins sûr, c’est de savoir ce que, finalement, cela veut dire !

Toutes sortes de micro-récits se suivent dans ce roman dont on ne se lasse pas, magiquement, bien qu’il ne nous emmène vers aucune finalité grandiose, vers aucun point final. Des histoires de beuverie, de voyages, des anecdotes grotesques, des moments hilarants, des romances réussies, ou ratées, des divorces, des crimes, des success stories, des moments de vie.

La narration est un vrai tourbillon, et le procédé favori du narrateur (dont l’auteur s’amuse à utiliser à l’envi) semble être la prétérition « bien sûr, ce n’est pas le sujet, mais laissez-moi vous en parler quand même. »

Bref, c’est un roman impossible à décrire en quelques lignes, mais que j’ai savouré du début à la fin : plein d’humour, il renferme aussi beaucoup d’intelligence, avec des propos satiriques sur notre société. Celle de l’Islande, avec ses particularités, et puis celle du monde, pas si différente.

La géographie islandaise qui se dessine est très resserrée, autour de Tangavík, une ville portuaire inventée de toutes pièces par l’auteur (terriblement réaliste, cependant), avec quelques escapades en mer (mais très vaguement racontées) et de rares exils dans la capitale. C’est avant tout une géographie rurale, locale, et humaine.

On peut lire un entretien avec l’auteur sur le blog sobrement intitulé La lectrice : rencontre entre la blogueuse et l’auteur à Saint-Malo, en 2018.

Les Rois d'Islande, d'Einar Már Guðmundsson, traduit par Eric Boury, 2018, 9€95 en Zulma poche. 

De belles aventures m’attendent encore chez Zulma : pour l’heure, ces trois petits bijoux islandais ont pris place avec satisfaction dans mes étagères.

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