Travail autonome, pédagogie collaborative, classe flexible : je me suis lancée ! (partie 1)

Cela fait bien longtemps que je rêve, en secret – sans le savoir vraiment moi-même d’ailleurs – d’un enseignement où chaque élève travaillerait à son rythme, dans un espace le plus adapté à son activité du moment, sans temps morts, le tout dans un lieu où chaque savoir ou savoir-faire aurait sa place. Ce n’est que depuis quelques années que j’ai découvert que ce rêve a un nom (et même plusieurs) en pédagogie, qu’il est déjà mis en œuvre par de plus en plus enseignant.e.s, au point d’être théorisé et présenté en formation. Evidemment, j’allais me lancer tout de suite !

Eh bien… non. Pas tout de suite. Pourquoi ? Parce que ça demande de la réflexion, un gros changement de posture, et que ça fiche la trouille, tout simplement ! Surtout quand on n’a aucun.e collègue autour de nous qui s’engage dans ce genre de démarches. C’est là que j’ai regretté le passage d’un collège REP, au quotidien certes difficile mais riche en collègues toujours prêt.e.s à essayer des choses (quitte à les abandonner, mais au moins on aura testé !), à un établissement plus tranquille, mais dans lequel les enseignant.e.s ne trouvent pas d’intérêt à faire évoluer les pratiques pédagogiques.

Une classe d’anglais en REP+

Image issue du blog Teaching Magic

Et pourtant… Certes, dans mon collège, il y a de l’excellence, il y a des élèves appliqué.e.s et scolaires, en proportion assez large, comparé à d’autres établissements. Mais il y a aussi (et surtout) une grande hétérogénéité. Et il y a ces moments que vous connaissez certainement, si vous enseignez aussi, où quand une vingtaine d’élèves font à peu près leurs exercices dans le temps imparti, on en a deux ou trois qui attendent la correction, deux ou trois qui essaient mais n’auront jamais terminé à temps, et deux ou trois qui ont fini depuis un quart d’heure et qui nous prennent pour une machine à exercices : « Je fais quoiiiiii maintenaaaaant ? »

Voilà, ma motivation se situait principalement là : comment faire pour que tout le monde travaille, avec efficacité et intérêt, pendant le temps (déjà bien maigre) imparti à ma matière ?

Alors je me suis intéressée à toutes les actions qui pourraient me faire avancer vers mon rêve ! Cela a commencé avec trois choses : l’inscription à une formation d’établissement, la lecture d’ouvrages sur le sujet, et des expériences dans ma salle.

Un projet en cours : l’aménagement d’une salle flexible dans mon collège

En fin d’année dernière, notre collège s’est positionné sur une formation d’établissement de deux ans visant à aménager une salle de notre établissement pour en faire une salle flexible. C’est-à-dire qu’à l’aide de deux formateurices, de formations théoriques et pratiques (aller voir des salles flexibles dans des collèges du secteur, travailler sur le plan de la salle pour lister les idées, choisir le matériel dans les catalogues…), et en partant de zéro ou presque (sans blague, la salle qu’on a choisie est une salle au sous-sol qui ne paye absolument pas de mine comme ça mais qui a un potentiel énorme), on devrait avoir une salle aménagée selon NOS souhaits en septembre 2025. Quand je dis « nos », nous sommes une équipe d’une douzaine d’enseignant.e.s de plusieurs disciplines, mais aussi un CPE, des élèves… Bref, on se prend pour Valérie Damidot qui aurait rencontré Céline Alvarez, et on se fait grave plaisir (il paraît qu’on a de l’argent à revendre pour ces « projets innovants »… ! Bref…)

Ce n’est pas notre plan (la nôtre sera encore mieux !! :-D)

Alors oui, cette salle me fait déjà rêver, et je suis plus que ravie de faire partie de l’équipe qui se charge de la concevoir. Mais… Ce ne sera pas la réponse à tout. C’est une salle qu’il faudra réserver, partager, et qui, même si on la réfléchit le plus soigneusement possible, restera malgré tout une salle « multiple », qui n’aura pas ce caractère de personnalisation qui m’est cher. Moi, ce que je voudrais, c’est une salle dédiée aux apprentissages du français, qui affiche clairement la couleur, et que j’ai à disposition le plus souvent possible, afin que les élèves s’habituent à ses ressources, et que je puisse y improviser (dans un second temps) des séances différenciées au débotté.

J’ai donc cherché d’autres solutions en faisant :

Des lectures intéressantes

J’ai découvert ces deux livres, qui ont l’avantage d’être très tournés vers le pratico-pratique (on y décrit précisément certaines séances, on y donne des références de matériel, des plans de salle, on y fournit des fiches à photocopier ou télécharger pour guider nos pratiques…) et de parler aussi du second degré (chose qui manque beaucoup dans d’autres livres sur la classe flexible).

Les deux sont intéressants et complémentaires. J’ai trouvé une grande « assise » théorique dans celui des éditions Retz, Enseigner en classe flexible, mais des idées plus concrètes dans La classe flexible : je me lance ! aux éditions De Boeck.

Dans le premier (Retz), j’ai notamment découvert la différence entre pédagogie des centres et ateliers individuels de manipulation ; un rappel des postures de l’enseignant théorisées par Dominique Bucheton, que j’avais découvertes en formation ; des conseils très pertinents sur le rôle de l’enseignant.e dans l’accompagnement des élèves, la gestion du bruit, etc ; des idées d’outils tels que le permis d’autonomie, qui m’a bien plu et que je pense adapter pour mes élèves.

Dans le deuxième (De Boeck), j’ai noté toutes sortes de références de matériel, des conseils d’ergothérapeutes pour bien choisir son mobilier ; j’ai retrouvé les différents concepts liés à la pédagogie collaborative, découverte sur le compte de @louvrelettres ; et j’ai pu confirmer certains de mes choix et intuitions, déjà mis en pratique ces derniers temps.

Ce qui m’amène à une troisième action :

L’aménagement « sauvage » et progressif de ma (enfin !) propre salle

Ce fut la très bonne nouvelle de cette année : on m’a enfin attribué une salle fixe ! Il se trouve que je ne la partage même pas avec d’autres collègues – ce qui ne m’aurait pas du tout gênée, en soi. Mais voilà, « j’ai » une salle, et j’avoue qu’au bout de sept ans, j’en profite à 200% ! Ou plutôt, j’essaie, car ce n’est pas si simple, et ça prend du temps de faire une salle à son image.

Un aperçu qui montre que c’est une salle plutôt grande bien que tout en longueur, assez agréable au niveau des couleurs, avec un grand tableau et surtout des tables individuelles – j’y reviendrai

La première chose que j’ai faite en emménageant dans cette salle : installer le coin lecture ! Si je garde des milliers d’hésitations sur d’autres questions, celle-là ne faisait au contraire aucun doute. J’ai donc commencé par vider toutes les vieilleries stockées dans mon armoire à portes pour y ranger :

  • la plupart de mes propres livres de littérature jeunesse (j’en garde encore chez moi, mais tant que mes enfants ne sont pas encore en âge de les lire, je me dis qu’il vaut mieux les mettre à disposition des ados que je fréquente tous les jours, à savoir mes élèves !)
  • quelques albums pour enfants, quand ils me semblent être plus utiles/intéressants pour mes élèves que pour mes enfants (au moins temporairement)
  • des jeux de société à visée pédagogique
  • des dictionnaires empruntés au CDI
  • quelques autres ouvrages scolaires
  • un peu de décoration et d’affiches en attente de tri

Pour le rangement des livres, j’ai opté pour la présentation vue chez Mallory, l’une des trois maîtresses initiatrices de l’atelier Déclic, aussi appelé « rangement à l’américaine » : les livres sont dans des paniers, triés par genre littéraire ou thématique. C’est un choix peut-être temporaire, j’y réfléchis encore.

Pour rendre ce coin lecture attrayant et identifiable, j’ai disposé des coussins et un (très) petit matelas au sol, le tout sur un tapis d’extérieur, et j’ai chiné chez mon super gentil libraire un tourniquet à livres (c’est LE truc qui me faisait rêver sur les salles des Insta-collègues) Il manque encore beaucoup pour en faire le coin cocooning et confortable que j’ai en tête, mais ça viendra.

Ensuite, j’ai passé beaucoup de temps à réfléchir à la disposition des bureaux d’élèves. Beaucoup trop de temps. Car, en fait, ce n’est pas le plus important si on veut arriver à un enseignement vraiment flexible : la disposition s’adaptera aux activités proposées, et pas l’inverse. Par exemple, j’ai essayé les îlots pendant toute la deuxième période, et ça ne me convient définitivement pas. J’ai d’ailleurs trouvé confirmation dans les deux ouvrages cités précédemment que cela générait forcément plus de bruit (ce n’est pas moi qui étais une incapable, ne sachant pas apprendre le calme à ses élèves), et, en outre, qu’il n’était jamais conseillé, d’un point de vue ergothérapeutique, que des élèves soient de biais par rapport au tableau. Donc, les îlots, très bien pour des activités ponctuelles, ne concernant pas forcément toustes les élèves, et ne nécessitant pas d’avoir un point de mire identique pour tout le monde.

Ce que j’ai aussi entrepris mais qui est en constante évolution :

  • des affichages au mur (en ce moment, il y a : les verbes de consigne et leur définition, un début de frise chronologique avec les héros et héroïnes étudié.e.s en cinquième, un début d’affichage de conjugaison, quelques travaux d’élèves, et un coin « poésie » avec une affiche du Printemps des poètes, des haïkus d’écrivain.e.s ou d’élèves)
  • un coin « travail dirigé » : six places toujours positionnées juste devant mon bureau et le tableau, dans une sorte de L (parfois j’y ajoute deux autres places), que j’utilise comme places normales en sixième (pour les élèves ayant le plus besoin d’être près de moi, pour des raisons de concentration ou de difficultés de compréhension) et comme espace dédié au travail accompagné en cinquième
  • une réserve de petit matériel que j’enrichis au fur et à mesure : casques anti-bruit, symboles de grammaire Montessori magnétiques, cartes d’écriture imprimées et plastifiées, un tableau blanc portatif (plutôt une grande ardoise)…

A retenir

Premièrement, travailler en classe flexible, ce n’est pas une lubie mais « juste » une adaptation au développement cognitif, social et physiologique de l’enfant puis de l’adolescent.e.

Deuxièmement, ça semble fonctionner dans bien des classes, de toutes sortes, en France comme ailleurs, à condition de s’y engager avec confiance, de faire confiance aux élèves, de ne pas avoir peur des erreurs et des errances temporaires, et de choisir ce qu’on se sent capable de faire et qui nous ressemble.

Enfin, exploiter l’espace, le temps et le matériel pour mettre en place cet enseignement, ce n’est pas si difficile. Je concède que c’est délicat quand on n’a pas de salle fixe – c’est mon expérience des années précédentes qui parle. Mais sinon, dans n’importe quelle salle, et sans investir dans du mobilier coûteux, on peut faire des choses. Quelques astuces : avoir des tables individuelles plutôt que des tables de deux rend les modifications BEAUCOUP plus faciles : pour faire des îlots dans tous les sens qu’on veut, pour isoler une place, pour faire des L, des U, des Z, des W… Le coin lecture, c’est TOUJOURS une bonne idée. TOUJOURS. Et tout le monde peut trouver un stock plus ou moins important de livres à mettre à disposition des élèves.

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Maintenant, ce que vous aimeriez savoir, c’est comment je m’y suis prise pour me lancer, avec les élèves, dans ce travail en classe flexible. Je vous donne rendez-vous d’ici peu pour la deuxième partie de cet article ! En attendant, n’hésitez pas à réagir, ici ou chez @lapetitemuquiplume sur Instagram !

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